L'écologie populaire? Comment faire?
Grève pour l’Avenir, Avril 2022
Cette année, le thème choisi pour la Grève pour l’Avenir est la réduction du temps de travail. Vieille revendication du mouvement ouvrier, la lutte pour plus de temps libre est toujours d’actualité, particulièrement en Suisse où nous n’avons pas arraché les fameuses 40 heures hebdomadaires, objectif des luttes de la fin du XIXe et du début du XXe siècles.
Mais quel est le lien entre la réduction du temps de travail et la lutte contre la crise climatique? A première vue, cela semble simple: si on réduit le temps de travail, on réduit les émissions de gaz à effet de serre.
Moins de travail?
Seulement voilà, la réalité est loin d’être aussi simple. Ces dernières décennies, alors que la durée du temps de travail tend à diminuer, la productivité, elle, augmente. En Suisse ou ailleurs. L’augmentation de l’intensité des rythmes de travail est au centre de ce processus. Aujourd’hui, pour le même nombre d’heures effectuées, nous travaillons bien plus. Nous produisons bien plus de biens et services, qu’il y a 30 ou 40 ans. Et cette tendance s’intensifie sans cesse, partout.
Si la réduction du temps de travail ne se traduit pas par moins d’activité, pourquoi en faire le thème de la Grève pour l’Avenir? C’est le résultat d’un double langage d’organisations de l’USS (Union syndicale suisse) comme UNIA et Syndicom. Ces organisations, notamment Syndicom, lorsqu’elles s’adressent aux patrons pour tenter d’ouvrir des négociations sur la réduction du temps de travail, mettent en avant le maintien de la production, voire son augmentation. Lorsqu’elles se retrouvent face au mouvement climatique, elles parlent de baisse d’émissions carbone. L’argument sur l’attractivité de la réduction du temps de travail pour l’augmentation de la productivité et donc pour les profits des entreprises, apparaît très vite. C’est un thème qui revient régulièrement dans le discours des figures de la gauche institutionnelle et de ses «économistes». Dans les faits, il a fallu insister pour que l’USS intègre la réduction des rythmes de travail dans cette campagne de la Grève pour l’Avenir. Ce problème n’est pas nouveau. Il se répète presque à chaque cycle de mobilisation et relève des contradictions qui traversent le syndicalisme de concertation, notamment l’USS.
Ce sur quoi nous mettons l’accent, pour notre part, ce sont les luttes qui vont être incontournables non seulement pour gagner la réduction du temps de travail, mais aussi pour en faire une mesure effective de lutte contre la crise climatique, en définissant nous-mêmes, par la base, les contenus et la portée de cette revendication.
La forme et la matière
Pour cela, il faut s’arrêter un instant sur nos conditions de travail actuelles et notamment sur le temps de travail. Horaires irréguliers; plannings divulgués à la dernière minute et qui changent sans cesse; travail sur appel; contrats «zéro-heure»; mais aussi, heures supplémentaires constantes (alors que la loi l’interdit); et pour finir, le travail gratuit, contraint, que l’on fait chez soit le soir et les week-ends, ou encore dans les transports publics. Tous ces éléments font partie du quotidien de la plupart des travailleurs et des travailleuses et constituent ce qu’on pourrait appeler la «forme» du temps de travail actuelle. A cela il faut ajouter toutes les formes de pression, de contraintes, de règles, voire d’aménagement de la place de travail pour augmenter l’activité effectuée. Tableaux de contrôle; monitoring en direct; interdiction de parler entre collègues; interdiction de se rendre aux toilettes; sous-effectifs; mesures disciplinaires; et pour finir, l’action en général du management et, souvent, sa violence organisationnelle. Tout ceci constitue ce que l’on pourrait appeler la «matière» du temps de travail.
Toute lutte pour la réduction du temps de travail, doit impérativement s’attaquer autant aux «formes» du temps de travail qu’à sa «matière». Il ne s’agit pas uniquement, de diminuer l’horaire hebdomadaire de travail, voire de supprimer un jour de travail. Il faut que les travailleurs et les travailleuses puissent reprendre du contrôle sur leur vie avec des horaires stables, connus à l’avance, liés à un salaire permettant de vivre dignement. Il faut aussi reprendre le contrôle des rythmes, de l’intensité et de l’environnement de travail.
La lutte c’est la clé
Pour réaliser ceci, nous ne pourrons l’emporter par aucune initiative populaire, mais par la lutte. Rappelons que depuis que le droit d’initiative existe (1891) seul un peu plus d’une vingtaine de ces initiatives ont passé la rampe, dont un certain nombre à caractère raciste ou xénophobe. Sur le terrain, cette poignée d’initiatives à caractère social qui sont passées ont ensuite été bloquées durant des années et réduites par le parlement dans leur application. Et ceci systématiquement. Nous pouvons. l’observer aujourd’hui encore avec la récente initiative pour les soins de l’ASI (Association suisse des infirmiers/ères).
Nous ne pourrons pas compter non plus sur les négociations à froid, qui sont devenues au fil des ans la méthode centrale de l’USS. C’est-à-dire des demandes présentées aux patrons sans construction de rapport de forces, sans confrontation directe et effective avec le patronat, sans lutte. La paix sociale qui est déjà, à la base, source de l’affaiblissement des travailleurs et des travailleuses se trouve renforcée par un pur syndicalisme de lobby auprès des patrons, des centres de pouvoir et des partis politiques.
Il nous faut poser les choses clairement. Nous ne pouvons pas lutter contre la crise climatique avec les instruments de l’économie de marché. Essayer d’expliquer à la bourgeoisie son intérêt, y compris économique, à lutter contre la crise climatique est vain. Dans toutes ses activités, la bourgeoisie a toujours fait payer les coûts «extérieurs» à la société. C’est exactement ce qu’elle fait avec la crise climatique; elle attend que la société prenne en charge les coûts. Et dans un ordre d’idée encore plus farfelu, espérer que la lutte contre la crise climatique devienne un marché rentable pour voir la bourgeoisie transformer d’elle-même, radicalement, ses conceptions économiques pour les mettre en accord avec les besoins de la nature, c’est nous condamner à un suicide collectif certain.
Changer le monde!
Le monde du travail est dominé par le mode de production capitaliste. Ce dernier échappe à toute notion de rationalité. La manière de produire, les ressources matérielles et humaines utilisées pour produire, les biens produits mêmes, tout est asservi à la maximisation du profit, à la domination de la rentabilité. Le gaspillage monstrueux de ressources pour produire des biens qui ne seront même pas proposés à la vente afin d’optimiser au mieux le ratio «coût de production/prix de vente» à lui tout seul a de quoi donner le vertige.
Si l’on veut se donner une chance de pouvoir continuer à vivre sur une planète où la vie serait supportable, nous n’avons d’autre choix que de nous en prendre directement au mode de production, à la conception économique qui le supporte et en définitive, aux intérêts matériels de la classe sociale qui jouit de notre labeur à toutes et tous. Faire advenir ceci ne peut se réaliser que par la lutte, le conflit social. La confrontation directe entre eux et nous.
Pour affronter directement la bourgeoisie et s’en prendre à ses intérêts matériels et symboliques, il nous faut accumuler de la force. Et là, le syndicalisme de base à besoin de franchir un saut qualitatif. Nous arrivons à animer et gagner des luttes, certaines modestes, d’autres plus significatives. Comment avancer?
Trois axes
Tous les éléments développés plus haut permettent de construire trois axes de travail et d’intervention:
1. La lutte pour la réduction du temps de travail est inséparable du combat contre la précarisation, la flexibilité contrainte, les salaires insuffisants qui dérivent de ces situations. En d’autres mots, la réduction du temps de travail est accompagnée de la recherche d’une sécurisation des conditions d’activité, de statut et de revenu des travailleurs/euses. La nécessité de lier ces deux dimensions, réduction du temps de travail et sécurisation du travail, se prolonge dans la revendication du salaire à la qualification professionnelle et du salaire à vie, concepts développés par Bernard Friot.
2. Même si cela peut apparaître difficile, notre intervention doit intégrer la question du sens du travail et de son contenu. Nous ne pouvons sérieusement poser la question écologique sans commencer immédiatement à poser celle de la production, biens matériels, services ou prestations. Une pression permanente doit être exercée sur ces terrains qui vont depuis l’hygiène et la sécurité au travail jusqu’à la production même des entreprises et institutions. Nous devons faire pression, de manière permanente, généralisée, sans cesse plus profonde, pour que la production corresponde au plus près aux besoins sociaux et à la promotion du cadre écologique. Ceci est lié au déploiement d’une culture sociale écologique. Intervention et culture ne peuvent attendre. Ce sont des éléments auxquels nous devons nous attaquer dès maintenant. Il y a une urgence de lutte et de revendication sur ces questions. Elles font partie de la question sociale au même titre que le salaire, la sécurisation ou l’humanisation du travail.
3. Entre ce que nous proposons, ce à quoi nous aspirons, l’alternative que nous entendons construire et les luttes que nous pouvons développer il y a, incontestablement, une grande distance. Mais cela ne veut pas dire que, qualitativement, chaque lutte ne puisse porter des éléments de ces avancées sociales-écologiques que nous proposons. Chaque combat peut et doit devenir un laboratoire de nos conceptions générales, de notre proposition d’alternative. Généraliser ce qui est le plus avancé, relier les combats les uns aux autres, penser au-delà de l’immédiateté des luttes et donc faire culture, tout ceci définit le processus de travail politique et de lutte sociale auquel nous participons.